Pour un ami ancien
J'ai un piano droit, Focké, de la fin du XIXe, qui m'a suivi dans tous mes déménagements. Ce fut le cadeau de ma grand-mère adorée pour mon dixième anniversaire. J'ai joué pendant presque quarante ans sur cet instrument, témoin de mes joies et de mes peines. Aujourd'hui, une maladie évolutive me prive du bon usage de mes doigts, et je ne joue plus. J'ai essayé de donner mon piano, soit à des particuliers, soit à des oeuvres caritatives. Personne n'en veut : il est trop vieux, trop lourd, trop encombrant, il a un sommier bois, bref, on en fait des mieux et moins chers. Une entreprise de vide-maison m'en a demandé 300 euros pour le mettre.. à la benne ! Je l'ai proposé à des facteurs/accordeurs, pour pièces (le clavier est impeccable, en ivoire et ébène, bien sûr), qui n'en veulent pas parce qu'il sont déjà "encombrés" de divers vieux pianos. Et puis, ce n'est qu'un Focké.
Certes, cet instrument nécessiterait des travaux, certes, il faut l'accorder, certes, certes. Mais j'aimais son son, j'aimais le laisser vibrer sous mes doigts.
Je ne sais qu'en faire, et ne voudrais pas le garder, parce que sa vue ravive ma douleur de ne plus pouvoir jouer et que l'appartement est petit (il me faut maintenant plus de place pour me déplacer). Je sens qu'il va finir à la benne, et cela me perce le coeur : quand j'y pense, je crois entendre le dernier son qu'il rendra en tombant, son de mort d'un ami blessé qui adresse son dernier adieu.
à bientôt