Il y a 20 ans
Maryline, sur son blog, fait un article sur la chute du mur de Berlin et pose cette question : que faisiez vous il y a 20 ans ?
Cela m'a donné l'envie de me souvenir.
Il y a 20 ans, l'année avait été bien difficile. Un mois plus tard, nous allions déposer le bilan. Avec mon mari de l'époque, nous tenions une librairie papeterie dans une petite ville de Normandie. Un monstre de centre commercial venait d'ouvrir à 10mn en voiture. Une catastrophe. Tous les gens se précipitaient voir l'hypermarché, le premier aussi grand de la région. Les petites villes autour étaient bien calmes... et les chiffres d'affaires avaient fait de terribles plongeons. Prévoyant la suite des évènements, j'avais trouvé un travail : je donnais des cours en vacation à la chambre de commerce. Cela me donnait beaucoup de travail. J'avais des niveaux disparates et le travail de préparation était énorme. En plus, je secondais mon mari au magasin et essayais de consacrer du temps à mes deux bouts de chou. Je n'ai pas beaucoup dormi pendant cette période-là !!
Le 9 a été une journée comme les autres. Je n'en ai aucun souvenir particulier.
Mais je me souviens bien du 10.
J'étais à la chambre de commerce. A la pause, j'ai jeté un coup d'oeil aux journaux.
J'ai lu ce gros titre : "le mur est tombé".
J'en suis restée assise, sous le choc.
Je ne suis jamais allée à Berlin, mais j'ai vécu en Allemagne de l'Ouest et j'ai travaillé à Hanovre. Ce n'était pas loin de la frontière entre les deux Allemagne, horrible bande de no-mans-land bordé de barbelés et de miradors. Mes promenades dans la région m'y avaient conduite plusieurs fois, c'était si près. Parmi mes collègues, beaucoup avaient de la famille "de l'autre côté". Pour les Berlinois, c'était pire. Les cousins n'existaient plus que par les lettres, souvent ouvertes et arrivant en mauvais état. J'avais eu une correspondante en DDR. Nos courriers étaient souvent ouverts. Les paquets, n'en parlons même pas ! Ils arrivaient dans un de ces états !
Bref, la séparation entre les deux Allemagne, je connaissais bien.
Et là, sur une table de la salle des profs, je voyais des photos de retrouvailles, je voyais un morceau de ce mur de honte par terre. Je me souviens, j'ai fermé les yeux pour refouler l'envie de pleurer de soulagement. J'ai pensé à mes collègues, j'ai pensé à Bärbel, ma correspondante depuis longtemps perdue de vue. J'ai pensé aussi à cette famille qui m'avait hébergé quelques jours, une famille d'immigrés russes qui louait une chambre, et avec qui j'avais beaucoup discuté. Je pensais à tous ces gens qui avaient pendant des années entendu des sornettes sur l'Ouest. La chute du mur témoignait d'un ras le bol de la population et non d'une évolution du régime préparée par les politicards. Les gens ordinaires, ceux à qui on ne demande jamais leur avis en avaient eu assez. Les policiers avaient laissé faire, sachant qu'ils risquaient de payer cher leur complicité, mais malgré tout avaient à leur façon manifesté leur rejet de cette bande de béton qui avait défiguré la ville trop longtemps.
Le peuple se prenait en main.
Bien sûr, il y avait eu Prague et ses marguerites quelques 20 ans plus tôt. Bien sûr, si le régime réagissait, la répression serait importante. Bien sûr, c'était risqué car la population était logiquement bien endoctrinée.
Mais voilà, la population ne voulait plus vivre dans une ville partagée.
Pour moi, cela voulait dire que la liberté était en marche. L'Ouest n'avait à proposer qu'un système capitaliste qui n'était pas vraiment à mon goût non plus, mais où au moins on avait la liberté de penser. Cela a créé chez moi un énorme espoir. Mon magasin se cassait la figure, nous allions devoir trimer pour nous en sortir, mais la liberté reprenait sa place. Mes enfants vivraient dans un monde libre, sans lettres et paquets ouverts, sans cette censure insupportable.
Je suis retournée en cours un peu sonnée. Mes cours ont dû être d'une bizarre qualité... mais bon. J'ai dit en quelques mots ce qui m'avait touché dans l'actualité, sans faire de politique, juste en disant que j'avais vécu en Allemagne et partageais ce que ressentais les gens du pays. Les élèves ont compris qu'il se passait quelque chose, mais la majorité ne s'y est pas intéressé : c'était si loin de leur univers.
Je ne me souviens de rien de plus de cette journée. Nous avons dû en parler à la maison, philosopher sur la signification de l'évènement, mais je ne me rappelle plus.
Quelques années plus tard, les deux Allemagne n'en ont plus fait qu'une, le bloc Est s'est fissuré et de nouvelles républiques sont nées. Mais pour moi, le premier pas a été fait par ces gens qui, un soir, en ont eu assez qu'on leur dicte leur vie.
à bientôt